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Stress au cabinet : reconnaître les signes avant-coureurs, réduire les risques

Markus Gubler
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Le stress fait partie du quotidien de nombreux médecins-dentistes, mais reste un tabou. Des études confirment pourtant qu’une surcharge continue n’est pas seulement néfaste pour la santé, mais aussi pour la qualité des soins.

Lundi, 8 heures. La première patiente s’installe fébrilement sur le fauteuil et ne quitte pas sa montre des yeux. Elle a l’air tendue et sa nervosité déteint sur la médecin-dentiste, Simone Meyer. Un bref moment d’inattention suffit et, pendant le retrait du retainer, la patiente avale un bout de fil métallique. Elle s’étrangle, tousse, mais n’est pas en détresse respiratoire. Par chance. Néanmoins, le fil d’inox pourrait provoquer des lésions internes. Le docteur Meyer interrompt le traitement et envoie la patiente à l’hôpital pour faire des examens. Le patient suivant l’attend déjà dans la deuxième salle de soins. Pendant toute la journée, Simone Meyer n’arrête pas de penser à l’incident survenu le matin. Elle est bouleversée et, le soir, après une longue journée de travail, elle écrit un courriel à la patiente.

Le nom de la praticienne est inventé, mais l’exemple est réel. Il a été recueilli par Anina Zürcher, qui mène des recherches sur le thème du stress lié à la médecine dentaire à l’Université de Zurich. Elle a récemment mené une enquête auprès des médecins-dentistes de Suisse. Résultat : plus de 60 % se sont plaints d’être régulièrement soumis à du stress professionnel. En cabinet, en clinique ou dans un centre de médecine dentaire, le constat est le même : le stress semble courant chez les médecins-dentistes, mais beaucoup d’entre eux pensent que cela fait partie du métier. Et c’est bien là le problème. Le stress n’est pas seulement désagréable, il a aussi des conséquences. Alors, que peuvent faire les praticiennes et les praticiens avant d’être submergés ?

Ce qui stresse les médecins-dentistes

Les médecins-dentistes sont des artisans qui font un travail de précision, de l’ordre du centième de millimètre. Concentration maximale et absence de distraction sont donc de rigueur, même sous pression. Le quotidien d’un médecin-dentiste est réglé comme du papier à musique : l’agenda est complet, les traitements sont planifiés, les procédures sont coordonnées au sein de l’équipe. Le principal facteur de stress est donc le temps. La planification est serrée et ne laisse aucune place à l’imprévu. Il suffit d’une intervention manquée ou d’une panne d’appareil pour mettre en péril toute cette organisation. 

Par ailleurs, les traitements dentaires ne suivent pas de schéma standard et chaque intervention est un cas unique. Les patientes et les patients ont des attentes et des comportements variés. Certains ont des exigences claires, d’autres ont peur des interventions. Ces patients-là ont besoin de plus d’attention. Il faut faire preuve de patience et prendre du temps, des ressources qui sont souvent limitées au sein d’un cabinet. Les problèmes de communication au sein de l’équipe peuvent aussi être une source de stress. Les obstacles linguistiques, les malentendus, ou encore des compétences mal définies sont coûteux en énergie. Lorsque les rôles ne sont pas clairement définis ou que l’équipe manque de cohésion, cela peut déboucher sur des situations pénibles. Des études ont montré que les médecins-dentistes rapportaient particulièrement souffrir du manque de clarté dans l’organisation, du stress engendré par la technique et des tensions interpersonnelles.

Le stress, qu’est-ce que c’est ?

Il n’existe pas une définition universelle du stress et la recherche nous propose plusieurs angles de réflexion. L’une des principales approches est celle proposée par le psychologue Richard Lazarus. Dans son modèle transactionnel, le stress est la conséquence des interactions entre l’homme et son environnement. L’être humain évalue constamment, souvent de manière inconsciente, si une situation est dangereuse (évaluation primaire) et s’il dispose des instruments nécessaires pour y faire face (évaluation secondaire). Si le résultat des deux évaluations est négatif – donc, un danger qu’on ne peut pas maîtriser –, la personne est en situation de stress. Le stress n’est pas fondamentalement négatif. Si l’on parvient à relever un défi complexe, il peut même avoir un effet stimulant et motivant. 

Les spécialistes parlent ici de bon stress ou d’eustress. Les problèmes surviennent lorsque nous nous sentons dépassés, que nous ne trouvons pas d’issue. L’eustress se transforme alors – parfois en une fraction de seconde – en détresse, le mauvais stress. Dans le monde de la médecine dentaire, ce genre de bascule se produit souvent lorsqu’une intervention prend soudain un mauvais tour. Le médecin-dentiste change alors brusquement de comportement. Sa concentration baisse, ses décisions sont plus impulsives, son empathie diminue. Des études ont montré que dans une situation stressante, le taux d’erreurs et le risque de complications augmentent. Le stress n’affecte donc pas que l’individu qui en souffre, mais également la qualité de son travail et la sécurité des patients.

Réactions physiques en chaîne

Le stress se manifeste par des réactions externes, mais aussi internes. Les réactions du corps en cas de stress ont été bien étudiées. Il y a principalement les interactions entre le cerveau et les reins, à travers l’axe HPA qui relie l’hypothalamus, l’hypophyse et le cortex surrénal. Si le sujet évalue une situation comme dangereuse, ses glandes surrénales produisent une hormone, le cortisol. Simultanément, le système sympathique active le système nerveux végétatif. Une réaction classique de type « fuir ou lutter » se déclenche : la fréquence cardiaque augmente, la respiration s’accélère et la pression artérielle monte. Le corps est en état d’alarme. Cette réaction est salutaire, car elle permet de réagir de façon appropriée dans une situation de danger. Mais si le corps est durablement en alerte, cela surcharge l’organisme. 

Le stress devient chronique, avec un certain nombre de conséquences pour la santé : troubles du sommeil, irritabilité, diminution de la concentration et, dans les cas les plus graves, un état d’épuisement. Les facultés cognitives s’en ressentent aussi. Les médecins-dentistes stressés ont besoin de plus de temps pour poser un diagnostic, passent plus à côté des symptômes et prennent plus de mauvaises décisions. À plus long terme, le stress chronique peut affaiblir le système immunitaire, affecter le métabolisme et influer sur le fonctionnement de certaines zones du cerveau, y compris celles qui sont responsables de la mémoire ou de la capacité de décision. L’aspect le plus critique est qu’un taux de cortisol élevé en permanence accroît les risques de burn-out, de maladies cardio-vasculaires et de dépression. Le stress n’est donc pas seulement un phénomène mental, mais aussi physique.

Comment identifier les symptômes du stress chez soi et chez les autres

SLe stress est un phénomène à bas bruit. Il avance à pas feutrés. Il est sournois. De nombreux médecins-dentistes ont appris à ignorer les signes avant-coureurs du stress. Pour eux, cela fait partie du métier. C’est une sorte de corollaire des responsabilités. Anina Zürcher tient à mettre les points sur les i : « On peut fonctionner longtemps dans un état d’épuisement total. » Voici quelques signaux d’alerte : « Irritabilité, fatigue, troubles du sommeil, absence de motivation au travail. L’empathie diminue, l’intérêt pour les autres disparaît. » Les médecins-dentistes ne peuvent pas cacher ces états d’âme et cela s’en ressent au sein de l’équipe. Les litiges deviennent plus fréquents, la volonté de coopérer s’amenuise, il n’y a plus aucune tolérance aux erreurs. Il n’est pas rare que cela se traduise aussi par un climat d’insécurité. Mais ce n’est pas une fatalité. Si l’on est capable de détecter le stress assez tôt, on peut agir – pour soi et pour l’équipe.

Parler du stress pour mieux le prévenir

La prévention du stress commence dans l’organisation du quotidien. Il suffit de peu. Les pauses ne doivent pas seulement être planifiées, mais elles doivent être prises et respectées. Des compétences clairement délimitées et des créneaux horaires réalistes pour les tâches quotidiennes réduisent le sentiment de pression permanente. Ce sont des tâches de direction qui relèvent de la responsabilité des médecins-dentistes et qui demandent de l’attention. Anina Zürcher a une méthode simple pour évaluer la situation, pour soi-même et pour l’équipe : le baromètre de l’humeur. Lors d’un entretien individuel, on pose la question suivante : « Quel est ton niveau de stress aujourd’hui sur une échelle de 0 à 10 ? » Cela stimule la réflexion. Un changement de perspective volontaire peut aussi ouvrir de nouveaux espaces de discussion. Une phrase comme « J’ai le sentiment que nous sommes passablement chargés ces derniers temps » incite à ouvrir la discussion. L’important, c’est de pouvoir parler ouvertement du stress. Cela crée un climat de confiance, et la confiance est le fondement de la résilience. Qui se sent sûr peut parler ouvertement de ses erreurs et demander de l’aide. Une saine culture de l’erreur fortifie la coopération. L’aspect primordial, pour les médecins-dentistes, est le suivant : ne pas ignorer les signes avant-coureurs et prendre au sérieux les symptômes de stress, avant que celui-ci ne devienne chronique. Anina Zürcher le résume ainsi : « La prévention est plus efficace – et plus durable – que n’importe quelle réparation. »

Moins de stress pour une meilleure qualité

La sensibilisation au stress est une tâche qui incombe à la direction. Savoir reconnaître les signes avant-coureurs du stress et être capable de les réduire permet de se sentir mieux et de garantir la qualité des soins et de l’accueil. Les patientes et les patients peuvent ressentir si l’équipe du cabinet fonctionne bien. Une attitude sympathique, un cadre de travail calme, empreint de concentration et d’empathie, cela se remarque et on s’en souvient. En parallèle, la satisfaction des membres de l’équipe s’accroît. La confiance et la reconnaissance créent un climat qui permet à chacune et à chacun de déployer son potentiel. Pour un médecin-dentiste, la prévention du stress n’est pas une affaire privée, c’est une responsabilité : quelqu’un qui prend soin de lui-même peut mieux prendre soin des autres, que ce soit son équipe ou ses patients.

Vous voulez en savoir plus sur le stress ? 

Anina Zürcher est médecin-dentiste chef et chercheuse au Centre de médecine dentaire de l’Université de Zurich. Elle s’intéresse plus particulièrement à la question du stress dans le milieu de la médecine dentaire, notamment dans les cabinets. Elle a donné un aperçu passionnant de son domaine de recherche au Congrès de la SSO de cette année. Un coup d’œil à son exposé en vaut la peine pour les cadres qui veulent assumer leurs responsabilités envers eux-mêmes et leurs équipes. Disponible à la demande dès maintenant sur la plateforme du Congrès de la SSO :

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